L’exploitation des ressources naturelles du sous-sol dans l’Arctique : vers une rapide expansion ?Frédéric Lasserre,
Caroline Rivard, Étudiante au doctorat, Faculté de Droit, Université
Laval
La région arctique attire de plus en
plus l’attention du fait de la fonte des glaces. Si celle-ci se confirmait dans
les prochaines décennies, il serait possible d’envisager l’ouverture de routes
maritimes saisonnières plus courtes entre Europe et Asie par exemple; mais
aussi d’exploiter plus facilement des ressources naturelles que l’on soupçonne
d’être abondantes. L’Arctique canadien, le Groenland contiendraient
d’importants gisements de matières premières comme le pétrole, le gaz, l’or,
l’argent le plomb, le nickel, le zinc et l’uranium. En Sibérie orientale,
moins explorée que la partie occidentale, les prospecteurs se montrent fort
actifs pour découvrir de nouveaux gisements. Selon une étude de l’U.S. Geological
Survey, l’ensemble de l’Arctique contiendrait le quart des ressources énergétiques
non encore découvertes de la planète [ 1], une estimation reprise par la compagnie Shell. D’autres sont d’avis que
ce sont jusqu’à 50 % des réserves non découvertes d’hydrocarbures qui pourraient
se trouver au nord du 60e parallèle [ 2].
Les efforts d’exploitation
des ressources arctiques ne sont pas récents
Le boom du pétrole en Alaska
L’Alaska assurait 17 % de la production américaine de pétrole en 2005, même
si celle-ci est en baisse depuis les années 1970. 90 % du budget de l’Alaska
vient des hydrocarbures.
C’est surtout dans le nord de l'État que se
trouvent les principales réserves de pétrole, à la fois sur terre et en mer,
dans les dépôts sédimentaires du plateau continental. Ces réserves très
importantes, découvertes en 1968, ont donné lieu à de nombreux scénarios pour
l’acheminement du brut vers les marchés américain et internationaux. L’un de
ceux-ci consistait à tester la faisabilité du transport par pétrolier à coque
renforcée à l’année longue : c’est l’épisode du Manhattan, ce navire qui a
suscité une vive controverse politique avec le Canada en empruntant le Passage
du Nord-ouest en 1969 puis en
Figure 1 : Le pétrolier Manhattan dans le Passage
du Nord-ouest en septembre 1969, escorté par le brise-glace canadien John A.
Macdonald. En arrière-plan, le brise-glace américain Northwind. Noter l’importance des quantités de glace à cette
époque, par rapport aux concentrations actuelles à la même saison... (Miko Niini, « Ympärivuotisen sisävesiliikenteen
kehittämismahdollisuudet », séminaire organisé par Aker Finnyards, 10
novembre 2005) Des
efforts réels mais longtemps marginaux au Canada
Au Canada, l’exploration minière, pétrolière et
gazière débuta en 1920 par le forage du puits de pétrole de Norman Wells dans
les Territoires du Nord-Ouest, plus précisément sur la rive nord du fleuve
Mackenzie [ 3]. Cependant, malgré l’extension importante du territoire nordique du Canada,
les efforts d’exploration et de développement des régions arctiques et subarctiques
n’ont aucune commune mesure avec la politique de développement des ressources
de Sibérie menée en Union soviétique, sous un régime économique différent
il est vrai. Dans l’économie de marché nord-américaine,
les conditions d’extraction et d’acheminement de ces ressources restreignaient
considérablement les profits potentiels, ce qui rendait peu attractifs les
gisements; une telle contrainte pesait moins, dans le contexte de l’économie
planifiée de l’URSS, sur les décisions économiques de mise en valeur de l’Arctique
soviétique.
En
URSS/Russie, c’est l’exploitation de ces ressources naturelles qui a été le
principal moteur des efforts d’ouverture de la Route maritime du nord à la
navigation d’été comme d’hiver, mais aussi de la construction de villes ex-nihilo pour l’extraction des minerais. L’exploitation et l’acheminement de ces
ressources est ainsi à l’origine de la présence de nombreuses agglomérations de
taille conséquente, comme Mourmansk (361 000 hab.), Vorkouta (86 000 h),
Norilsk (175 000 hab.), Igarka (7 700 h), et de ports importants -
Mourmansk, Dudinka (25 000 h), Dickson (1 200 h), Khatanga
(3 000 h), Tiksi (2 500 h) - alors qu’il n’y a aucune ville majeure
aussi nordique en Amérique du Nord : Iqaluit (au Nunavut, 6 500 h),
Anchorage (261 000 h) et Fairbanks (31 000 h) en Alaska, sont au sud
du cercle arctique.
Demeurée réelle mais limitée, l’exploration
pétrolière canadienne fut accélérée suite à la découverte de gisements de
pétrole dans l’Alaska voisine (1968) et aux deux chocs pétroliers de 1973
et 1979. À cet égard, le gouvernement canadien adopta le Programme énergétique
national avec de nombreux incitatifs financiers afin de favoriser l’exploration
des ressources naturelles dans l’Arctique canadien. Cette campagne d’exploration
aboutit à la découverte de dépôts sédimentaires importants dans la mer de
Beaufort et dans le bassin de Sverdrup, au nord-est de la mer de Beaufort
et dans le prolongement des couches pétrolifères du delta du Mackenzie. Des
gisements d’hydrocarbures sont exploités dans la mer de Beaufort depuis 1986.
L’exploration plus intense de l’archipel arctique, malgré les conditions climatiques
défavorables, a également abouti à la mise en exploitation du gisement de
Bent Horn (île Cameron), exploité par la compagnie Panarctic. Ce site fut
exploité de 1985 à 1997 [ 4]. Bien que modeste, ce projet est intéressant à l’égard du développement
du transport maritime des ressources pétrolières dans l’Arctique. En 1985,
un premier chargement de
Le plomb, le zinc et l’argent de la
mine de Nanisivik, située sur l’île de Baffin, furent également transportés
par voie maritime. La société débuta l’exploitation en 1976. Le transport
de ces minéraux était effectué par navire vers l’Europe ou le port de Québec.
Cependant, en 2002, la mine fut fermée étant donné l’épuisement du minerai
et la faiblesse des prix mondiaux [ 7].
Figure 2 : Mine de Nanisivik, 1976-2002 (www.miningnorth.com/docs/Mining_Past_and_Future.pdf) Figure 3: Mine de Nanisivik : terminal
maritime (Victor M Santos-Pedro (Transport Figure 4 : Exploitation et exploitation minière
dans l'Arctique canadien (sources multiples compilées par l’auteur,
dont Ministère des Ressources naturelles du Canada; Greenland Bureau of
Minerals and Petroleum; Petroleum News; Gouvernement du Nunavut; Gouvernement
des Territoires du Nord-ouest.) Du plomb et du zinc ont été extraits
à partir de 1981 de la mine Polaris, située sur l’île Petite Cornwallis. Les
minerais étaient concentrés et stockés dans une usine à barge, puis expédiés
chaque année par navire durant les mois navigables vers l’Europe ou le port
de Québec. En 2002, la mine fut également fermée du fait de l’épuisement relatif
du minerai, comme à Nanisivik [ 8], et de la baisse des cours des matières
premières de l’époque.
Figure 5 : Mine de Polaris (1980-2002) (http://www.miningnorth.com/docs/Mining_Past_and_Future.pdf) Figure 6 : Mine de Polaris (http://shl.stanford.edu:3455/SouthPole/842) L’exploration et l’exploitation des sites
miniers de l’Arctique canadien dépendaient directement des cours des matières
premières sur les marchés mondiaux. Cette contrainte majeure explique en bonne
part la modestie de l’exploitation et de l’exploration dans cette vaste région,
qui représente, au nord du 60e parallèle, près de 40% du territoire
canadien. Les coûts élevés de l’exploration, des salaires élevés pour attirer
la main d’oeuvre dans des endroits aussi isolés, puis de l’extraction et de
l’acheminement minent la rentabilité de tels investissements. Circuler en hiver
est aisé sur le sol gelé (construction de routes d’hiver), mais le dégel est
toujours le cauchemar des logisticiens des mines. Construire des routes dans
ces régions récemment dégagées des glaces de la dernière glaciation est
difficile du fait de l’absence de gravier et de terre : le roc est à nu.
La brièveté de la saison navigable rendait aussi difficile l’acheminement vers
les marchés, et construire un port est une entreprise coûteuse. A ceci s’ajoute
le coût des mesures de protection environnementale qu’imposent désormais les
gouvernements des Territoires du Nord-ouest et du Nunavut : les compagnies
minières doivent cesser les opérations pendant le passage des troupeaux de
caribous à proximité des mines; doivent se soumettre à des études d’impact
sévères, et doivent déposer à l’avance, dans un compte bancaire verrouillé, le
montant correspondant au coût de la dépollution du site lorsque l’exploitation
sera terminée.
Une relance récente de l’exploration minière et
pétrolière arctique
Un contexte radicalement
différent
A
partir de 2000 environ, deux éléments majeurs viennent bouleverser ce tableau
de l’exploitation des ressources arctiques, en Amérique du Nord mais aussi en
Europe et en Sibérie. La fonte de la banquise Tout
d’abord, avec le réchauffement climatique et le retrait constaté de la banquise
estivale, il est possible d’envisager une saison navigable nettement plus
longue qu’autrefois. Ainsi, le port de Churchill, dans la
baie d’Hudson, a-t-il vu sa saison navigable passer de six semaines à près
de trois mois en quelques années. À l’origine, dans les années 1920, Churchill,
dans le nord du Manitoba, avait été construit pour faciliter le transport
céréalier vers l’Europe. Déficitaire, le gouvernement s’en est débarrassé
en le vendant à un opérateur privé, OmniTRAX, qui l’a modernisé en 1997. Avec
le réchauffement climatique, de nouvelles possibilités de transport maritime
de ressources naturelles peuvent être envisagées. En effet, ce port, construit
en eaux profondes, permet un accès direct à l’océan, d’où la possibilité d’accroître
l’exportation vers les marchés européens. De plus, un lien ferroviaire permet
de relier le port avec le reste de l’Amérique. La possibilité de doter le
port de portiques à conteneurs dès 2008 est également envisagée. Une autre
idée serait de relier le port de Mourmansk, dans le nord-ouest de la Russie,
au port de Churchill afin de créer une “autoroute arctique” entre la Russie
et le Canada [ 9]. L’allongement de la saison de navigabilité
des eaux arctiques est à l’origine de tous les scénarios d’ouverture du Passage
du Nord-ouest comme de la Route maritime du Nord : il permettrait une
rentabilité accrue de la construction de ports destinés à desservir des mines
dans la région, y compris des gisements situés loin à l’intérieur des terres
et donc dépendant de la construction de routes terrestres. Le projet de port
de Bathurst Inlet, à cet égard, témoigne de l’intérêt du secteur minier pour
de tels investissements.
Figure 7 : Site du projet de port de
Bathurst Inlet, destiné à desservir des exploitations minières potentielles. (www.nunalogistics.com/projects/clients/bathurst/index.html) La hausse du cours des matières
premières Cette fonte de la banquise estivale
se produit, qui plus est, dans un contexte de décollage économique accéléré
des économies émergentes comme la Chine, le Brésil et l’Inde, qui achètent
une part croissante des hydrocarbures et des matières premières sur les marchés
mondiaux. Face à la capacité réduite d’accroître la production, voire au début
du déclin de celle-ci dans le cas du pétrole – plusieurs analystes parlent
de l’imminence du pic pétrolier, ou début du déclin de la production mondiale
[ 10] – l’accroissement rapide des importations
de ces matières premières a provoqué mécaniquement une hausse marquée du cours
boursier de celles-ci, comme en témoignent les deux graphiques ci-dessous :
Figure 8 : Cours boursier de quelques matières
premières : or, pétrole, cuivre, zinc. Q3 2003 – Q1 2006. (www.sirchartsalot.com/article.php?id=16) Entre le 3e trimestre
2003 et le 1er trimestre 2006, les cours du zinc avaient été
multipliés par 2,67 ; de l’or, par 1,64 ; du cuivre, par 3,36. Sur la période
de 5 ans du 8 juin 2002 au 8 juin 2007, l’index composite GFMS des métaux
de base avait augmenté de 330,9 % : Figure 9 : Évolution de l’indice composite GFMS du
cours des métaux de base, juin 2002-juin 2007. (GFMS, consultants en métaux précieux.) L’appréciation
marquée du cours des matières premières, pétrole certes, mais aussi or et
métaux de base, accroît considérablement la rentabilité potentielle de
l’exploration minière pour des sites dans l’Arctique qui était, de plus, en
train de voir fondre la banquise. C’est donc à une frénésie d’exploration que
l’on a assisté, avec l’annonce de la découverte et de la mise en exploitation
de nombreux nouveaux gisements. Une nouvelle expansion des activités
minières dans l’Arctique nord-américain
Les gisements connus d’hydrocarbures de l’Arctique
canadien se trouvent principalement dans la mer de Beaufort et le delta du
Mackenzie. 53 découvertes importantes sont recensées et représentent 1,4 milliard
de barils de pétrole et 358 milliards de m³ de gaz naturel. Plusieurs sociétés
manifestent leur intérêt d’explorer et d’exploiter ces champs pétroliers et
gaziers. De même, d’importantes ressources gazières ont été découvertes dans
les îles de l’ouest de l’archipel arctique, dans le bassin de Sverdrup, à
Drake Point et à Hecla, mais à l’heure actuelle, la mise en valeur classique
de ces ressources n’est pas encore envisagée en raison de leur éloignement
[ 11].
Ainsi, la relance de l’exploitation
des hydrocarbures dans l’Arctique constitue un argument de poids pour le projet
gazier Mackenzie, une proposition conjointe de Shell Canada, Conoco Phillips
Canada, Exxon Mobil, Imperial Oil Resources Ventures et l’Aboriginal Pipeline
Group. Le projet de construction d’un gazoduc de
Figure 10. Tracé du projet du gazoduc du delta du
Mackenzie (Mackenzie Gas Projet, www.mackenziegasproject.com/theProject/index.html) Ce projet est toujours à l’étude par
l’Office national de l’énergie quant à ses impacts sur les collectivités locales
et à sa faisabilité [ 13]. La construction de ce gazoduc n’a pas
encore été entamée. Cependant, dans l’optique où ce projet se réalise, ce
gazoduc contribuerait certainement à ouvrir l’Arctique de l’Ouest aux investisseurs
attirés par l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures, d’abord dans
les Territoires du Nord-Ouest, puis dans les zones extra côtières arctiques.
En particulier, plusieurs compagnies pétrolières envisagent une exploration
plus intense des gisements potentiels dans le bassin de Sverdrup et en mer
de Beaufort – dans ce dernier cas, il faudra que le Canada et les États-Unis
règlent leur litige sur le tracé de la frontière maritime.
Dans l’Arctique de l’Est, le Groenland
a accéléré l’exploration pétrolière sur sa côte occidentale. Des essais en
1976, 1977 et 1990 s’étaient révélés négatifs, mais la demande et la stabilité
de prix élevés ont encouragé le gouvernement autonome à relancer l’exploration
en juillet 2002; quatre vagues de vente des concessions nouvelles ont eu lieu
depuis.
Figure 11: Essais de navigation d’hiver du cargo MV
Arctic en baie d’Anaktalak (Labrador), février 2005 (Voisey’s Bay Nickel Company, www.vbnc.com/PhotosVoiseysBay.asp) Des explorations minières majeures
sont en cours à travers l’ensemble du territoire arctique. L’exploration
diamantifère s’est intensifiée au cours des dernières années et cible
principalement le nord-ouest de l’île de Baffin et la presqu’île de Melville,
mais les sociétés De Beers et Stornoway en recherchent désormais également dans
l’Extrême Arctique. Près des localités de Rankin Inlet et de Chesterfield
Inlet, des filons diamantifères ont été mis à jour. Quant à la région de
Kitikmeot, soit les parties continentales ouest et nord du Nunavut, les îles
Victoria, Prince-de-Galles, du Roi-Guillaume et de Somerset, les sociétés
minières explorent des filons diamantifères et aurifères. À Jéricho, une
nouvelle mine de diamants a été mise en activité en août 2006. Le Canada est
devenu en moins de 10 ans le 3e producteur mondial de diamants
depuis la mise en exploitation des gisements boréaux d’Ekati et de Diavik
(Territoires du Nord-ouest) en 1998. L’exploration vise également divers
autres minéraux tels que l’or, l’argent, l’uranium (les gisements subarctiques
canadiens en font le 1er producteur mondial), le fer, le cobalt, les
saphirs et le charbon. Des gisements aurifères au nord du lac Baker (Nunavut)
seront exploités au cours des prochaines années. À Ferguson Lake (centre du
Nunavut), du nickel et du cuivre ont été découverts dans des gisements
prometteurs.
Le site très riche de Darnley Bay
(cuivre-nickel) devrait entrer en exploitation en 2008 ou 2009; celle-ci aussi
suppose la construction d’un terminal maritime.
Sur l’île de Baffin, des gisements
de fer, d’or, de saphirs ont été mis à jour. La mine de fer de Mary River doit
commencer ses activités à l’été 2008 avec transport par navire à coque
renforcée, au port en construction de Milne Inlet.
Dans le district de Kivalliq qui
comprend l’est du Nunavut, l’île de Southampton et plusieurs petites îles, la
prospection vise à découvrir des gisements d’or, de diamants, de nickel, de
cuivre, de platine et d’uranium.
Bref,
longtemps pratiquées à une intensité réduite, l’exploration et l’exploitation
des ressources naturelles en Amérique du Nord se retrouvent sous l’oeil des
grandes entreprises du secteur. Si ces projets se développent comme le laissent
entendre les rapports des entreprises, c’est un important trafic de desserte
des mines qui devrait se développer dans l’archipel arctique et autour du
Groenland.
Sibérie : une frénésie de projets liés aux
hydrocarbures
Des réserves d’hydrocarbures considérables et une active mobilisation pour les exploiter
Figure 12 : Part des réserves d’hydrocarbures (gaz et
pétrole) dans l’Arctique. Ces réserves représenteraient 24% des réserves à
découvrir, soit 51 milliards de tonnes équivalent pétrole. Nordland : nord de
la Norvège. Réserve méthodologique importante : les bassins sédimentaires de
l’archipel arctique canadien n’ont pas été évalués dans cette recherche de
l’USGS. (U.S. Geological Survey World Petroleum Assessment
2000, USGS, Washington, DC et Assessment Update, 2006, http://energy.cr.usgs.gov/oilgas/wep/assessment_updates.html;
graphique produit dans “Oil and Gas”, Oceans Futures, Oslo, Focus North, 5,
2006.) Des réserves de l’ordre de 10 000 milliards m³ de gaz et de 4,5 milliards de tonnes de pétrole ont été découvertes dans la seule péninsule de Yamal et dans la région de l’embouchure de l’Ob. Les réserves probables de pétrole en mer de Petchora, selon Gazprom et Norsk Hydro, étaient évaluées en 1999 entre 275 à 400 Mt [ 16]. L’ensemble du gisement de Timan-Petchora contiendrait 9 milliards de barils (2005) [ 17]. Un gisement en Yakoutie a commencé d’être exploité en 2001, et son pétrole est livré par la Route maritime du Nord via le port de Tiksi [ 18]. Les gisements sibériens et de l’Oural représenteraient, selon les autorités russes, environ 60% des réserves russes de pétrole et 40% des réserves de gaz; dans ces réserves, le plateau continental russe des mers de Barents et de Petchora représente 5% des réserves de pétrole et 19% des réserves de gaz [ 19]. On comprend les investissements majeurs consentis par les compagnies pétrolières russes dans la région depuis 1999. Ces prespectives confortent la position de la Russie comme 1er producteur mondial de gaz et 2e de pétrole. Les techniques soviétiques d’extraction induisaient
un taux de récupération assez faible, et les réserves ont donc pu être nettement
augmentées avec l’introduction de technologies plus modernes, suite à la disparition
de l’URSS en
Comme pour la mer de Beaufort, entre Canada et États-Unis,
un litige frontalier oppose la Russie et la Norvège : dans les deux cas,
le litige est ancien, mais la perspective de voir d’importants gisements d’hydrocarbures
découverts souligne la nécessité de préciser le tracé exact de la limite des
zones économiques exclusives respectives. La Norvège espère ainsi débuter
la production de son gisement Snøhvit (160 milliards m³ de gaz) en mer de Barents,
et accélérer l’exploration dans les bassins sédimentaires adjacents. Près de 8,8 milliards $ ont déjà été investis dans ce projet qui devrait
débuter en 2007. Le 8 juin 2007,
un accord préliminaire a été signé entre les deux pays pour la définition
du tracé de la frontière maritime [ 21].
Figure 13 : Gisements d’hydorcarbures et bathymétrie de l’océan Arctique (Lasserre, Frédéric. « Les détroits arctiques canadiens et russes. Souveraineté et développement de nouvelles routes maritimes », Cahiers de Géographie du Québec, vol. 48, nº135, 2004, pp.397-425 ; Barents Observer, www.barentsobserver.com.) Figure 14 :. Localisation du gisement de gaz de Snøhvit (Norvège, mer de Barents) (Statoil, www.statoil.com) Figure 15 : Gisements d’hydrocarbures en mer de Barents et en mer de Petchora, et zone disputée entre Russie et Norvège. (ARCOP, www.arcop.fi/news/varandey.jpg) L’intérêt pour ces ressources naturelles
est grandissant, mais se pose la question de leur transport. Si le gisement
de gaz de Shtokman doit être desservi par un gazoduc jusqu’à la presqu’île
de Kola, en revanche, le de pétrole des mers de Barents et de Petchora, de
même que le gaz norvégiens, seront transportés par navires à coque renforcée,
soit directement vers les marchés de destination, soit jusqu’à Mourmansk pour
y être chargé sur des superpétroliers [ 22]. Les chantiers navals Aker Finnyards
voient leur carnet de commande exploser pour des méthaniers ou des pétroliers
à coque renforcée, destinés aux marchés du transport des hydrocarbures dans
l’Arctique, en mer Baltique (autre fenêtre d’exportation des hydrocarbures
russes) et en mer d’Okhotsk, autour des importants gisements de Sakhaline.
Une nouvelle technologie norvégienne de transport du gaz naturel liquéfié
permet d’envisager un transport maritime accru pour les importants gisements
des parties norvégienne et russe de la mer de Barents, en litige entre les
deux pays [ 23]. La querelle des
plateaux continentaux
Indice certain de la valeur
qu’accordent désormais les pays riverains de l’océan Arctique à l’exploration
minière, surtout pour les hydrocarbures, la plupart d’entre eux ont récemment
ratifié la Convention de Montego Bay sur le Droit de la mer de 1982. Celle-ci
prévoit que chaque pays qui ratifie le traité international dispose de 10 ans
pour faire l’inventaire de la géologie du plateau continental autour de ses
côtes, puis déposer une revendication au titre de l’article 76 de la
Convention, qui prévoit que l’État riverain peut revendiquer la souveraineté
économique sur les gisements des fonds marins, au-delà de la limite des 200
miles marins de la Zone économique exclusive. Que les divers pays revendiquent, à
terme, un plateau continental très étendu n’est pas le principal : c’est
la convergence du mouvement de ratification actuel qu’il faut souligner, et qui
souligne bien l’urgence, pour les pays de l’Arctique, de faire l’inventaire des
ressources existantes afin de les valoriser et de les partager. Même aux
États-Unis, où la position politique traditionnelle était de ne pas ratifier la
Convention, considérée par Washington comme contraire à ses intérêts car
restreignant la liberté de navigation des États-Unis, le président Bush fait
pression sur le Sénat pour obtenir la ratification du traité afin que les
États-Unis puissent revendiquer une partie du plateau continental
arctique : la compagnie pétrolière BP Amoco est en train de finaliser
l’exploration du gisement pétrolier prometteur Northstar, en mer de Beaufort.
Figure 16 : Chronologie de la ratification de la convention du Droit de
la mer - États riverains de l’océan Arctique (Victor M Santos-Pedro (Transport Ceci dit, l’essentiel des bassins
sédimentaires, où se trouvent les gisements potentiels d’hydrocarbures, se
trouvent en deçà des limites des 200 miles marins : la course à
l’extension des plateaux continentaux n’est peut-être pas pertinente d’un point
de vue des ressources, sauf peut-être pour la dorsale Lomonosov, qui
prolongerait peut-être la croûte du Groenland dans l’océan Arctique. Figure 17 :. Carte
des bassins sédimentaires connus en 1997 : tous se trouvent en deçà des
(Ressources naturelles
Canada, cité par Victor M Santos-Pedro, 2004, op.cit.) Figure 18 : La
dorsale Lomonosov (National Geophysical Data Center, www.ngdc.noaa.gov/mgg/image/ibca_gebco_comp_cover.jpg) L’empressement actuel des pays riverains de l’océan Arctique à cartographier
les fonds marins, outre la découverte, possible mais peu probable, de bassins
sédimentaires encore inconnus, réside sans doute dans le principe de précaution
– se réserver des espaces les plus vastes possibles au cas où des ressources
y seraienmt découvertes – et dans la présence des gisements d’hydrates de
gaz [ 25], ces combinaisons de glace et de méthane, surtout déposés au fond de
l’océan sous grande pression. La plupart de ces gisements se trouveraient
au-delà de la limite des
Figure 19 : Localisation présumé des principaux champs d’hydrates de gaz de l’océan Arctique. Source : Ressources naturelles Canada, cité par Victor M
Santos-Pedro, 2004, op.cit. Ces gisements constituent des réserves d’énergie très importantes, même si on ne connaît pas encore de technique rentable pour les exploiter. De plus, ces gisements constituent un danger potentiel majeur pour l’équilibre climatique : en effet, les hydrates de gaz ou clathrates, sont stables à très basse température et sous forte pression; si la température monte, ils sont tendance à se désagréger, et le méthane se libère -or le méthane est un puissant gaz à effet de serre... Des gisements abondants
de métaux, de minéraux, de charbon...
Du nickel, du charbon, du cuivre et du fer sont extraits de mines de la péninsule de Kola. Le très important gisement de nickel, cuivre et palladium de Norilsk (qui a suscité le développement de cette ville industrielle de 175 000 hab.) a été mis en valeur dès 1935 à l’aide de prisonniers politiques... En 2003, selon les chiffres donnés par la société Norilsk Nickel, 13,1 Mt de minerai ont été extraites dans le district minier de la péninsule de Taïmyr. Avec 222 Mt de minerai à 2,21 % nickel et 4,12 % cuivre, les réserves minières de Norilsk sont impressionnantes (environ 10 fois les réserves de la mine de Voisey’s Bay au Canada, hors platinoïdes !) d’autant plus que les 2/3 de ces réserves sont constituées de minerai à forte teneur, où le nickel est autour de 3 % [ 26]. Quant aux diamants, ils proviennent de la
vallée de la Lena. L’or, l’étain, la houille et le tungstène constituent les
autres principaux minéraux que l’on retrouve dans les régions arctiques de la
Russie. Bien que certains de ces gisements se situent à l’intérieur du
continent, c’est par voie maritime ou fluvio-maritime que l’expédition des
ressources est effectuée principalement, en raison de l’absence de route
terrestre ou de voie ferrée.
Au Spitzberg, une des principales
îles de l’archipel du Svalbard, le charbon, découvert à la fin du XIXe siècle,
est exploité depuis 1916. Aujourd’hui, seules des compagnies russes et
norvégiennes y sont encore actives.
L’activité minière est présente au
Groenland depuis le début du XXe siècle, avec l’exploitation des gisements
de cryolite, un minéral entrant dans la fabrication de l’aluminium. A partir
de 1953, la première mine de plomb-zinc a été ouverte. Le Groenland produit
du plomb, du zinc, du fer, du charbon, de l’or, du platine, de l’uranium et
du molybdène, qui sont exportés par navire. Cependant, l’activité minière
y est moins dynamique que durant la décennie 1990. Après un creux enregistré
en 2001 et 2002, un observe une reprise de l’activité : il reste à voir
si cette croissance se poursuivra comme dans le reste de l’Arctique, ce que
les changements climatiques comme les aspects économiques devraient favoriser.
Ainsi, la mine de plomb et de zinc Black Angel, ouverte en 1973 et fermée
en 1990 pour cause de faible rentabilité malgré la forte teneur du minerai
résiduel, sera rouverte en 2008. Les dirigeants de la compagnie propriétaire,
Angus & Ross, estiment que le potentiel minier du Groenland est largement
sous-évalué [ 27]. Figure 20 : Exploitation minière dans l’Arctique
de l’Est (compilation des auteurs
de multiples sources, dont Caroline Rivard, « Exploitation
des ressources naturelles arctiques et transport maritime: Conjoncture actuelle », Actes du colloque Changements climatiques et ouverture de l'Arctique:
quels impacts stratégiques pour le Canada?, Université Laval, 17 novembre 2006.)
Figure 21
:Activités d’exploration minière au Groenland 1996-2007 Gouvernement du Groenland, Bureau of
Minerals and Petroleum, « List of Mineral and
Petroleum Licences in Greenland », www.bmp.gl/minerals/list_of_licences.pdf,
1er juin 2007, consulté le 12 juin 2007. Conclusion
C’est à une frénésie de projets
d’exploration que l’on assiste dans les secteurs minier et pétrolier dans les
régions arctiques. En Sibérie, il s’agit de confirmer le rôle de premier
producteur mondial de gaz de la Russie, de poursuivre l’exploitation de gisements
majeurs de nickel, de cuivre, de diamants, mais aussi de poursuivre
l’exploration en Sibérie orientale et sur le plateau continental russe de
l’océan Arctique. Au Groenland comme dans l’archipel arctique canadien, des
gisements sont connus, parfois depuis plusieurs décennies, mais l’ampleur des
richesses du sous-sol est probablement sous-estimé du fait de la faiblesse des
efforts de prospection menés jusqu’à présent : les conditions polaires ne
permettaient pas de rentabiliser des exploitations potentielles que les
compagnies minières ne cherchaient dès lors pas à confirmer.
L’exploitation des ressources
minières de l’Arctique, à elle seule, va probablement induire un accroissement
du trafic maritime au cours des cinquante prochaines années si les tendances du
réchauffement climatique se maintiennent. En effet, devant les projets des
compagnies minières et pétrolières, les sociétés de navigation envisagent
d’accélérer la construction de navires pouvant assurer le transport des
ressources naturelles, puisque les coûts de transport et de construction
pourront être rentabilisés face à une demande en expansion et à l’envol des
cours des matières premières.
[1]U.S. Geological Survey World Petroleum Assessment 2000, USGS, Washington, DC. Réserve méthodologique
importante : les bassins sédimentaires de l’archipel arctique canadien n’ont
pas été évalués dans cette recherche de l’USGS.
[2] Matthew Carnaghan et Allison Goody,
« La souveraineté du Canada dans l’Arctique », Bibliothèque du
Parlement, 26 janvier 2006, Ottawa, [en ligne] www.parl.gc.ca/information/library/PBRpubs/prb0561-f.htm
(Page consultée le 15 novembre 2006).
[3] Ministère des Affaires Indiennes et
du Nord du Canada, « Le pétrole et le gaz du Nord canadien. Des terres
à explorer aux confins du Canada », 24 janvier 2006, [en ligne] www.ainc-inac.gc.ca/ps/ecd/env/nor_f.html
(Page consultée le 15 novembre 2006).
[4] Victor M. Santos-Pedro, « Foreign
Commercial and State Interests in the Arctic Ocean and the Canadian Arctic »,
Arctic Sovereignty Workshop, 8-9 novembre 2004, Ottawa.
[5] W.W. Nassichuk, « Forty Years
of Northern Non-Renewable Natural Resource Development », dans William
C. Wonders, Canada’s changing North,
Mc Gill – Queen’s University Press, Montréal, 2003, p.229.
[6] Ministère des Affaires Indiennes et
du Nord du Canada, « Pétrole et gaz du Nord. Rapport annuel 1997 »,
[en ligne] www.ainc-inac.ca/oil/Pdf/report97_f.PDF (Page consultée le 15 novembre 2006).
[7] Ministère des Ressources Naturelles
du Canada, « Ouvertures, fermetures, augmentations de la capacité,
prolongations de la durée de vie et nouveaux aménagements des mines au Canada »,
[en ligne] www.rncan-nrcan.gc.ca/smm/cmy/contenu/2002/06.pdf (Page consultée le 15 novembre 2006).
[8] Teckcominco, « A Farewell to
Polaris », Orbit Magazine, Summer/Fall 2002, [en ligne], www.teckcominco.com/articles/operations/po-farewell-nov02.pdf (Page consultée le 15 novembre 2006).
[9] Daniel Chrétien, « Ce petit port
redessinera-t-il le continent? », L’Actualité, 1er avril 2006,
[en ligne] www.lactualite.com/article.jsp?content=20060302_134457_1400 (Page consultée le 15 novembre 2006).
[10] Colin Campbell, ancien géologue auprès de
plusieurs compagnies pétrolières, et actuellement président du Oil Depletion
Analysis Centre (Centre d’analyse de l’Épuisement du Pétrole, Londres),
estime que le pic est déjà passé en 2005 pour le pétrole conventionnel.
Si on tient compte des réserves non-conventionnelles (sables bitumineux
de l’Alberta, par exemple; gisements de grande profondeur; réserves arctiques...),
le pic pourrait venir dès 2011 au rythme actuel de consommation. The
Independent (Londres), 14 juin 2007.
[11] Ministère des Affaires Indiennes et
du Nord du Canada, 2006, op. cit.
note 3.
[12] Office National de l’Énergie, « L’Office
national de l’énergie reçoit des demandes concernant le projet gazier Mackenzie »,
Communiqué, 8 octobre 2004, [en ligne] www.neb.gc.ca/newsroom/releases/nr2004/nr0418_f.htm
(Page consultée le 15 novembre 2006).
[13] Office National de l’Énergie, « L’Office
national de l’énergie tiendra une audience concernant le projet gazier Mackenzie
à compter du 25 janvier 2006 », Communiqué, 20 décembre 2005, [en ligne]
www.neb.gc.ca/newsroom/releases/nr2005/nr0530_f.htm
(Page consultée le 15 novembre 2006).
[14] Falconbridge, « Raglan. Nos activités.
Nickel. Exploitations », [en ligne] www.falconbridge.com/french/our_business/nickel/operations/raglan.htm
(Page consultée le 15 novembre 2006).
[15] Eric Franckx, Maritime Claims in the
[16] Claes Lykke Ragner, Northern Sea Route Cargo Flows and Infrastructure – Present State and
Future Potential, FNI Report 13, Fridjof Nansen Institute, Oslo, 2000,
pp.48-51.
[17] West Siberian Resources Ltd, www.westsiberian.com/index.php?p=operations&s=timano_pechora&afw_lang=en, c. le 14 juin 2007. [18] Правда, Moscou, 11 septembre 2001; Frédéric
Lasserre, « Les détroits arctiques canadiens et russes. Souveraineté
et développement de nouvelles routes maritimes », Cahiers de géographie
du Québec, Vol. 48 No. 135, décembre 2004.
[19]
“Oil and Gas”, Oceans Futures, Oslo, Focus North, 5, 2006, p.2.
[20]
“Régions pétrolières en Russie et Asie centrale »,
Wikipédia, 2 juin 2007.
[21]
Barents Observer, 11 juin 2007 ; Moscow Times, 12 juin 2007,
www.moscowtimes.ru/stories/2007/06/09/047.html.
[22]
“Oil and Gas”, Oceans Futures, Oslo, Focus North, 5, 2006, p.4.
[23] Guillaume Martin De Clausonne, « L’Arctique
comme zone stratégique: les évolutions géopolitiques et les enjeux »,
mémoire, Collège Interarmées de Défense, mars 2006, [en ligne] www.cedoc.defense.gouv.fr/IMG/pdf/GEOPOLITIQUE_ARCTIQUE_1_.pdf (Page consultée le
15 novembre 2006).
[24]
L’ONU a accordé un délai supplémentaire
aux pays ayant ratifié la convention avant 2000.
[25] Les hydrates
de gaz, aussi appelés clathrates, sont des solides cristallins gelés composés
de molécules de gaz enveloppées de molécules d’eau. La forme d’hydrate de
gaz la plus courante est l’hydrate de méthane, les autres molécules de gaz
incluant l’éthane, le propane, le butane, l’iso-butane, le pentane, l’azote,
le dioxyde de carbone et le sulfure d’hydrogène.
[26]
N. Stojolan, “Norilsk : la société chiffre ses productions et ses réserves
de nickel et de cuivre dans son rapport annuel
[27]
Reuters, 22 mai 2007.
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