Vostok, un lac à quatre kilomètres sous la glace
Par Stéphane Hergueta, biologiste et journaliste scientifique, membre fondateur du Cercle Polaire
Un lac grand comme la Corse sous la station de forage glaciaire
Des campagnes d’exploration aériennes systématiques furent menées de la fin des années 1960 au début des années 1970 dans le but de déterminer la topographie des sols sous les énormes glaciers couvrant le continent antarctique. Elles utilisaient le radar pour visualiser les surfaces du socle rocheux à travers les kilomètres de glace qui les recouvrent. Les images qui furent obtenues révélaient la présence de surfaces planes et lisses, de tailles variables, en différents points du continent. Ces profils, typiques d’une surface d’eau sous forme liquide, signalaient donc la présence de lacs situés sur la surface du continent antarctique, mais enfouis sous les glaciers. Pas moins de soixante-dix-sept lacs ont ainsi été identifiés à partir de ces données et de celles de quatre autres campagnes menées dans les années 1970.
A la station soviétique de Vostok, on avait identifié plusieurs étendues d’eau, mais le maillage des explorations radar étant trop grand, il était impossible de les relier entre elles et l’on pensait donc que plusieurs petits lacs coexistaient dans un rayon de 300 km autour de la station. Ce n’est qu’avec l’utilisation des mesures altimétriques satellitaire de haute précision, réalisées dans les années 1990, notamment avec le satellite français ERS1, que l’énormité du lac Vostok est apparue : ce lac constitue une immense surface lisse et continue de 14 000 km2 qui s’étend sur 250 km dans l’axe nord/sud et 60 km dans l’axe est/ouest. Le lac Vostok est grand comme la Corse ! C’est de loin le plus grand lac sub-glaciaire de l’Antarctique, avec un volume évalué, à partir d’études sismiques récentes, à quelques 5 600 km3, soit trente fois le volume du lac Léman. Sa profondeur moyenne se situe aux environs de 400 m et il est traversé par une fosse de 1 200 m de profondeur à une trentaine de kilomètres au nord de Vostok.

Figure 1 : Photo satellite RADARSAT du lac Vostok
La station de recherche de Vostok fut construite en 1957 par les soviétiques, à l’occasion de l’année géophysique internationale, sur le site remarquable correspondant à la fois au pôle géomagnétique, à 78° de latitude Sud et 106° de longitude Est, et au pôle de froid du continent Antarctique (record de froid : - 88,2°C le 23 juillet 1983). Le hasard a voulu que Vostok se trouve à l’aplomb de la pointe sud de l’immense lac dont personne ne pouvait alors soupçonner l’existence. Outre les observations météorologiques, magnétiques et radiométriques, une des activités importantes de cette station était la réalisation de forages profonds dans la glace de l’inlandsis, cet énorme complexe de glaciers, de 3 à 4 km d’épaisseur (3 750 m à Vostok), qui recouvre 98 % de la surface de l’Antarctique et dont le poids est tel qu’il enfonce le continent de près de 800 m sous le niveau de la mer.

Figure 2 : Station scientifique soviétique de Vostok
Ce lent travail de forage glaciaire visait à prélever des carottes de glace de plusieurs kilomètres de long. La carotte extraite le 9 janvier 1998, qui allait jusqu’à 3 540 m sous la station, a représenté neuf ans d’efforts. Les principales analyses effectuées sur ces carottes de Vostok portent sur leur structure cristalline, leur température, la composition isotopique des cristaux de glace, l’analyse des gaz contenus dans les bulles d’air, l’identification des poussières et des inclusions diverses… Elles sont réalisées en partie sur place et en laboratoire par différentes équipes appartenant à divers pays, dont la France. Elles livrent des données inestimables sur la dynamique de la formation et de l’évolution des glaciers antarctiques, mais permettent aussi de suivre les variations des températures moyennes annuelles et l’évolution de la composition de l’atmosphère, autant d’éléments indispensables pour reconstituer l’évolution de l’environnement et du climat antarctique passés.

Figure 3 : carotte de glace (CNRS/LGGE)
En 1984, dans un contexte de « guerre froide », un avion américain dépose Claude Lorius, glaciologue français, et deux de ses collègues à la station Vostok. A l’époque, la carotte extraite du plus profond forage était longue de 2 km, et livrait 150 000 ans d’archives glaciaires et d’histoire du climat terrestre, dont les derniers grands cycles climatiques de glaciation du Quaternaire. C’est l’analyse des gaz piégés dans les bulles d’air lors de la formation de la glace qui permit aux équipes de chercheurs dirigées par Claude Lorius, directeur du laboratoire CNRS de Glaciologie et géophysique de l’environnement (LGGE) à Grenoble, de mettre en évidence la relation entre les variations historiques du climat (paléoclimat) et la teneur en gaz à effet de serre (CO2 et méthane essentiellement) de l’atmosphère : les variations de concentration de ces gaz dans les bulles d’air de la glace varient de concert avec les variations de la température, celles-ci étant déduites de la composition isotopique de la glace. Cette découverte, cruciale pour la modélisation des évolutions futures de notre climat, aboutit à questionner le rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique global.

Figure 4 : Courbes d’évolution des températures moyennes annuelles et des concentration en dioxyde de carbone (CO2) et méthane pour les 450 000 dernières années, construites à partir de l’analyse des échantillons de glace de Vostok (CNRS/LGGE)
Aujourd’hui, le forage à Vostok a livré des données qui ont permis de retracer les variations du climat et de l’environnement sur plus de 400 000 ans. Et avec le prélèvement effectué en 2001 sur le site franco-italien de Concordia au Dôme C, à 2 700 m de profondeur, dans le cadre d’une coopération internationale comptant douze pays, ce sont 800 000 ans de l’histoire du climat terrestre et de la composition atmosphérique qui sont révélés.
Changement de glace à 3 540 m
Sur le site de Vostok, la séquence climatique est continue jusqu’à 3 310 m de profondeur. Au-delà, les couches sont mélangées et les données difficiles à interpréter. Aussi était-il question d’arrêter les forages à la fin de l’hivernage 1997-1998. Mais, en janvier 1998, une glace transparente comme du cristal fut remontée de 3 540 m de profondeur, à 200 m au-dessus de la base du glacier. Cette glace étonnante contenait de nombreuses inclusions de sédiments fins de quelques millimètres de diamètre.

Figure 5 : Inclusions de sédiments du lac Vostok (L. Meydard – CNRS) dans une carotte de glace ; lames minces (épaisseur 2 mm) de glace de glacier en haut (cristaux de quelques mm de long) et de glace d’accrétion en bas (1 cristal de 32 cm de long). (CNRS/LGGE)
Ces petits « cailloux » étaient donc situés à plus de 200 m au-dessus du socle rocheux, dans un glacier flottant lui-même au-dessus d’un lac profond ; il semblait impossible, dans un tel contexte, de déterminer l’origine de ces sédiments. Etudiée sur place, les propriétés électriques de la glace (conductivité) se sont révélées surprenantes : même soumise à 3 000 V, la glace bloque le passage du courant, comme le ferait un réseau de glace d’une eau pure fabriquée en laboratoire à partir d’eau distillée. Cette glace est donc très pure, dénuée des sels dissous (chlorures, sodium, potassium…) qui sont présents en quantité variable dans toutes les glaces de la Terre. Les lames minces de cette glace de 3 540 m de profondeur, observées en lumière polarisée, révèlent des cristaux démesurés, de plus de 20 cm de long. De retour au LGGE, les analyses ont montré que les échantillons proviennent du gel de l’eau du lac Vostok, et que les inclusions sont des sédiments d’argile inclus par le frottement de la base du glacier sur le socle rocheux dans son avance en amont du lac qui sont alors piégés par la fonte de la base du glacier et le regel de la surface du lac.

Figure 6 : photo en microscopie optique des inclusions de sédiments argileux dans la glace d’accrétion (Priscu Research Group, Montana State University).
A Vostok, le forage fut arrêté à 3 650 m en janvier 2006, soit 100 m au-dessus de la surface du lac. Les nouveaux échantillons sont les témoins inattendus du milieu sous-glaciaire. L’analyse en cours des derniers 85 m de la carotte est partagée par des équipes russes, américaines et françaises.
A cette même profondeur limite de 3 540 m, la composition isotopique (deutérium et oxygène 18, isotopes lourds de l’hydrogène et de l’oxygène de l’eau) présente elle aussi une transition rapide, sur 30 cm d’épaisseur, avec une augmentation de la concentration dans un rapport de 10‰ par rapport à la glace du glacier, et reste pratiquement constante au-delà.

Figure 7 : Variation des paramètres physiques (taille des cristaux, volume de gaz et nombre d’inclusions) et géochimiques (conductivité électrique et proportion en isotope lourd, deutérium, de l’hydrogène) de la glace autour de 3 539 m de profondeur (CNRS/LGGE)
Ce rapport, utilisé pour identifier les différents types de glace (glacier, eau douce, eau de mer), est cohérent avec une glace issue du gel de l’eau du lac Vostok. Ce fait est renforcé par la disparition des bulles d’air dans la glace, caractéristique d’un gel lent de l’eau. En effet, la glace de glacier, formée par compression de la neige, emprisonne naturellement des bulles d’air, qui disparaissent sous la pression du poids du glacier. Elles réapparaissent une fois les carottes extraites de leur confinement dans la profondeur du glacier. L’expulsion de l’air de la glace par fonte et regel des échantillons, est une méthode que les glaciologues utilisent pour extraire les gaz contenus dans les bulles d’air du glacier.
Pourquoi des lacs au cœur du continent blanc ?
Le dernier inventaire des lacs sous-glaciaires antarctiques, publié en 2005 à partir de l’ensemble des données acquises par les différentes campagnes russes, américaines, britanniques, danoises et italiennes, identifie 145 lacs.

Figure 8 : localisation des 145 lacs sous-glaciaires antarctiques (modifié d’après Studdinger et al., 2005)
Seuls 4 d’entre eux ont été localisés en Antarctique occidental, les 141 autres étant répartis sur l’ensemble du socle oriental, avec des concentrations autour du pôle Sud géographique, du Dôme C et du Ridge B séparant les dômes C et A, qui sont les zones les plus largement échantillonnées. La plupart des lacs (88 %) sont enfouis sous 3 à 4 km de glacier – un seul, situé en Terre de Mac Robertson, est à moins de 2 km de profondeur. Ils mesurent généralement moins de 10 km de long (pour 79 % d’entre eux). Mis à part le gigantesque lac Vostok, les plus grands lacs semblent concentrés dans la région du Dôme C, avec trois lacs de plus de 50 km de long, dont un sous le site de Concordia. Comment expliquer la présence d’autant de lacs à l’endroit le plus froid de la Terre ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, très peu de lacs sont associés aux volcans antarctiques. Mais la présence d’eau liquide sous les glaciers du continent austral a bien quelque chose à faire avec la géothermie. Comme en tout point du globe, le flux de chaleur en provenance du noyau et du manteau diffuse à travers la croûte continentale. Mais cette croûte étant couverte de glaciers, la propriété d’isolant thermique de la glace piège le flux géothermique à l’interface entre le socle rocheux et la base du glacier. À l’intérieur du continent, la température moyenne ne dépasse jamais les –50 °C et engendre un flux de froid qui se transmet à travers la glace à mesure qu’elle s’enfonce sous son propre poids. Le flux de frigories (1 frigorie = 1 000 calories ; c’est la quantité d’énergie calorifique à retirer pour abaisser la température d’un gramme d’eau de 1°C) apporté par la glace vers le socle rocheux dépend de la dynamique du glacier, de la quantité de neige qui tombe et de la température à la surface du glacier.
Dans les régions côtières ou sur les pentes à fort dénivelé, les précipitations de neige sont abondantes, les couches de neige s’enfoncent rapidement et le flux de froid descendant est très supérieur au flux géothermique ; près du socle, la température reste nettement négative et le glacier en contact avec la roche est gelé. Mais, dans les régions centrales, l’accumulation de neige est plus faible et l’épaisseur de glace beaucoup plus élevée ; malgré des températures plus basses en surface, le flux de frigories venant de la surface n’est pas suffisant pour compenser l’effet d’isolant thermique. La chaleur de la Terre prend le dessus et fait fondre la glace à la base du glacier. L’eau de fonte reste en équilibre stable avec la glace, sa température de fusion étant inférieure à 0 °C (–2,5 °C à Vostok) à cause de la pression du poids du glacier et de la teneur en sels de l’eau du glacier. Cette eau tend à s’évacuer dans les sédiments ou dans les chenaux sous-glaciaires, mais, lorsque le socle présente une dépression, l’eau s’y accumule et forme un lac. Dans ce cas, le volume du lac augmente jusqu’à ce que s’établisse un nouvel équilibre entre la surface du lac et la base du glacier, où le flux géothermique est compensé par le flux de froid du glacier.

Figure 9 : Schéma du profil des températures dans la calotte polaire antarctique. Le flux de froid (bleu) dépend de la température de surface mais surtout de l’épaisseur du glacier qui varie avec le taux d’accumulation des précipitations de neige. Le flux géothermique (rouge) compense le flux de froid dans les régions centrales ou des lacs peuvent alors de former. (CNRS/LGGE)
Un lac en perpétuel renouvellement
Sur le site de Vostok, la glace à grand cristaux trouvée à partir de 3 540 m de profondeur est la preuve que la surface du lac Vostok subit un phénomène de regel de l’eau du lac. De fait, l’interface entre l’eau du lac et la base du glacier est inclinée dans l’axe nord/sud : elle passe de 3 750 m à Vostok, c’est-à-dire au sud, à 4 200 m de profondeur 200 km plus au nord. Cette différence de 500 m de hauteur de glace aux deux extrémités du lac induit des différences de pression dues au poids de la glace et donc une variation de la température du point de fusion de la glace qui passe de –2,5 °C au sud à –2,8 °C au nord du lac. Si l’on accepte l’idée d’une circulation des eaux du lac permettant des échanges de chaleur plus rapides que par simple diffusion au travers des masses d’eau colossales, la température moyenne des eaux du lac devrait être voisine de –2,65 °C.

Figure 10 : Schéma de principe montrant les différences de température à l’interface glace/eau pour le lac Vostok (CNRS/LGGE)
Cette valeur moyenne, qui vaut aussi pour l’interface, permet alors de subdiviser le lac en deux parties bien distinctes :
– dans la partie profonde, au nord, l’interface avec le glacier, qui est à –2,8 °C, est réchauffée par la circulation des eaux à –2,65 °C, ce qui fait fondre la base du glacier, libérant de l’eau qui alimente le lac ;
– dans la partie sud, l’eau du lac, qui est aussi à –2,65 °C, gèle lorsqu’elle arrive au contact de l’interface où le point de fusion de la glace n’est qu’à –2,5 °C, créant la glace de regel.
Ainsi, dès que l’interface eau/glace d’un lac sous-glaciaire est inclinée, une instabilité thermodynamique s’installe de manière permanente et le système évolue par un processus de fusion/regel. L’eau se forme par fonte du glacier dans la partie basse du lac et s’évacue par formation de glace d’accrétion dans sa partie haute. La glace d’accrétion est entraînée hors du lac par le glissement du glacier qui se déplace à Vostok d’ouest en Est. Ainsi, on montre que la quantité d’eau produite par la fusion du glacier est limitée par la quantité d’énergie calorifique introduite dans le système par le flux géothermique. Le processus de fusion du glacier dans la partie nord du lac produit 67 millions de mètres cubes d’eau liquide par an, compensés par le déplacement du glacier qui exporte un volume équivalent de glace d’accrétion. Ainsi, le lac Vostok, malgré son inclinaison et la dynamique d’échanges thermiques et hydrologiques qu’elle engendre, constitue un système en équilibre avec le glacier qui est au-dessus. La production de glace par le glacier, la fusion de la glace à sa base, le regel de l’eau et l’exportation de glace d’accrétion par le glacier permettent de renouveler la totalité du volume d’eau du lac tous les 85 000 ans environ.

Figure 11 : Schéma reconstituant l’équilibre dynamique du lac Vostok (Priscu Research Group, Montana State University)
Le glacier qui surplombe le lac Vostok se forme essentiellement dans la région du Ridge B, à l’ouest du lac, et s’écoule donc vers l’est. Il traverse le lac Vostok dans le sens de sa largeur. Dans son déplacement, la base du glacier entraîne une multitude de débris rocheux et des sédiments argileux. La fonte de la glace au nord du lac entraîne ces sédiments dans le lac. Brassés par les courants du lac, certains sont intégrés dans la glace d’accrétion, comme ceux observés dans les carottes à partir de 3 540 m de profondeur.
Il y a de la vie dans le lac Vostok
Lors de sa formation par accumulation des précipitations dans la région du Ridge B, le glacier amalgame la neige qui contient des poussières transportées par le vent depuis les continents de l’hémisphère Sud. Des microorganismes vivant dans le sol peuvent avoir été transportés de la même manière et incorporés à la glace. Au bout de 800 000 ans, temps nécessaire à ce que cette nouvelle glace arrive à l’interface entre le glacier et le lac, ces microorganismes sont alors libérés dans les eaux du lac lors de la fusion de la base du glacier. Si la grande majorité de ces organismes n’a aucune chance de survivre à 800 000 ans de broyage dans le glacier aux températures largement négatives, puis aux conditions de hautes pression, de température proche de 0 °C, d’absence de lumière et de faible disponibilité en carbone organique qui règnent dans les eaux pauvrement minéralisées du lac. Il existe néanmoins une possibilité que certains microorganismes, les êtres vivants qui ont conquis le plus large éventail d’environnements terrestres, aient pu s’adapter et survivre dans le lac. On peut alors imaginer que certains se sont également retrouvés piégés dans la glace de regel au sud du lac.
Mais, après le premier enthousiasme soulevé par la publication, en 2001, des résultats de trois équipes américaines concernant la présence de microorganismes dans les carottes de Vostok, le doute a immédiatement été soulevé par la forte ressemblance que ces microorganismes présentaient avec ceux de notre environnement et leur faible diversité spécifique. Si on y ajoute une concentration élevée de différents éléments chimiques, le tableau général suggère des contaminations. Le principal agent de contamination évoqué serait le kérosène utilisé à Vostok pour maintenir ouverts les différents puits de forages, car il n’est pas du tout stérile. De leur côté, Russes et Français se sont associés pour dresser un inventaire complet des contaminants chimiques et microbiens, notamment par l’identification après amplification et séquençage d’ADN. Après plusieurs années d’efforts, les premiers résultats sur un échantillon de glace d’accrétion contenant des sédiments montrent un très faible contenu biologique, dont encore 70 % des signatures ADN appartiennent à des bactéries vivant dans notre environnement, sur l’homme ou dans le fluide de forage, démontrant la persistance d’une contamination résiduelle, malgré les efforts réalisés pour la limiter.
Les 30 % de signature ADN restantes sont celles d’organismes autochtones du lac Vostok. Elles constituent donc les premières formes de vie connues d’un nouvel écosystème, celui des lacs sous-glaciaires antarctiques. Trois espèces de bactéries ont ainsi été identifiées. Une de ces bactérie est connue par ailleurs pour vivre dans les sources chaudes (à 40-50 °C) ou dans les mines profondes, capables d’oxyder l’hydrogène et de fixer le CO2. Les deux autres espèces sont nouvelles et n’ont pas d’équivalents dans les banques de gènes. Mais l’analyse phylogénétique de leurs séquences ADN les rattache à d’autres bactéries des sources chaudes. Bien que le lac Vostok soit situé sur un vieux socle continental épais, le relief entourant le lac – une déclivité encaissée aux bords abrupts –, associe un ensemble de fractures, de failles et de cassures provoquées par l’orogenèse ancienne du rift trans-antarctique. Les infiltrations d’eau du lac dans les fissures profondes pourraient donc engendrer une circulation hydrothermale renforcée par l’activité tectonique locale, l’énergie des séismes libérée dans le lac activant la circulation des eaux. Ainsi, les bactéries du lac Vostok pourraient être les descendantes de bactéries hydrothermales piégées voici 35 millions d’années lorsque la surface de l’Antarctique a commencé à geler, et qui se seraient adaptées au fil du temps aux conditions extrêmes du lac sous-glaciaire grâce au maintien des activités hydrothermales et tectoniques.

Figure 12 : Photo en microscopie électronique à balayage des microorganismes du lac Vostok (Priscu Research Group, Montana State University)
Ainsi, une biodiversité spécifique se serait-elle maintenue dans certains lacs sous-glaciaires, au moins à Vostok, associée à des sources hydrothermales profondes. Leur étude intéresse au plus haut point les exobiologistes, car un parallèle peut être établi avec certains milieux extraterrestres comme, par exemple, Europa, l’un des satellites de Jupiter dont la surface gelée pourrait abriter des étendues d’eau sous-glaciaires. Il ne serait alors pas impossible d’y découvrir une vie extraterrestre...
Comme l’explique Jean-Robert Petit, directeur de recherches du CNRS au LGGE et responsable pour la France du programme international d’étude des lacs sous-glaciaires pour l’API : « A l’heure actuelle, les opérations de forage à Vostok sont ralenties voire en hibernation. Cela, en attendant de trouver les solutions techniques pour éviter tout risque de contamination des eaux du lac, ce qui équivaudrait à détruire un écosystème vraiment particulier et unique. L’exploration des milieux sous-glaciaires se poursuivra au moyen de radar, mesures géophysiques (gravimétrie, magnétisme…) et sera mise en place au moment de l’année Polaire internationale 2007-2009 (API). En même temps les ingénieurs réfléchiront aux sondes automatiques qui pourraient être mises en œuvre sur de petits lacs, principe de précaution oblige, où les éventuels effets de contamination seraient plus limités. Le lac Vostok restant une pièce unique doit être préservé pour l’instant, et il livrera sans doute ses secrets aux chercheurs de demain. »
Pour en savoir plus
Page d’actualité du site Web du laboratoire de glaciologie et géophysique de l’Environnement du CNRS à Grenoble
http://www-lgge.ujf-grenoble.fr/actu/actu_sciences.shtml
Dossier « Climat : le forage de Vostok » écrit par Jean-Robert Petit pour le CNRS :
http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim/rechfran/4theme/paleo/vostok.html
Site web de Mickael Studinger, spécialiste américain du lac Vostok
http://www.ldeo.columbia.edu/~mstuding/
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